Isabelle Crevier, la reine au couteau, peint l'Afrique avec une lame.
article initialement publié dans le magazine Kissina, n°1, octobre 2004
Isabelle Crevier expose ses toiles à Paris La Défense* dans la galerie "Arsinoé". Sa
particularité ? Elle a troqué les pinceaux contre un couteau. L'artiste franco-canadienne peint de mémoire les scènes du quotidien africain, vestiges de son enfance passée sur le continent.
Découverte d'une peintre hors-norme.
La Défense et sa vaste étendue de verre et de béton. Un lieu qui donne envie de se presser comme tous ces gens en costume... Mais au milieu des formes géométriques du Centre National des Industries et Techniques (CNIT) se détache une oasis de couleurs. C'est la galerie d'arts "Arsinoé", du nom d'une reine noire de légende qui traversa l'Afrique pour fonder un nouveau royaume. L'artiste qui y est représenté est Isabelle Crevier, une peintre franco-canadienne qui a fait de la peinture au couteau sa spécialité.
Connue et reconnue outre-Atlantique pour ses représentations du quotidien africain, Isabelle Crevier donne corps à ses souvenirs en quelques aplats colorés. La jeune Canadienne a beaucoup voyagé et a passé son enfance en Afrique, suivant son père ingénieur d'un pays à l'autre : Mali, Côte d'Ivoire, Sénégal, Cameroun, Kenya, Tanzanie...
Quatorze ans de voyage à travers le continent. Des scènes de vie s'impriment alors à jamais dans son esprit. La joie de vivre, la simplicité
et surtout, les couleurs. Une idée du bonheur enfantin, rythmé par le pillage du mil, le ressac de l'Océan et le pas des troupeaux.
Un couteau pour pinceau
Ce qui a fait la réputation de l'artiste peintre au Canada, c'est sa dextérité avec la lame. Elle n'en utilise qu'une seule, de petit format,
qui lui permet de reproduire dans les moindres détails les visages et les paysages. Isabelle redonne vie sur la toile à toutes les impressions fugaces de son enfance, en fignolant au couteau les
nuances ambrées d'un visage, marquées par différents aplats brun-roux ou jaunes. Elle transpose sur la toile des scènes quotidiennes d'où se dégagent une nonchalance paisible. Comme dans la scène
de poterie où c'est la rondeur qui prime et apporte de la douceur au tableau. Et la femme, l'enfant et les poteries sont tous lissés par le couteau dans un mouvement enrobant. Dans ses nombreuses
toiles de pillage du mil, c'est la verticalité qui imprime la lenteur et la sérénité : de longues silhouettes se détachent sur un fond poussiéreux saturé de lumière et battent la céréale d'un
mouvement ample, en suspens. Ce réalisme est dû à la précision quasi photographique de ces peintures.
Pour ce peintre, qui vit de son art, il est impensable de réaliser des portraits sur commande ou de refaire l'une de ses toiles. Une
exclusivité qui n'apporte que plus de charme et de valeur à chaque œuvre. "Des clients commandent parfois l'esprit d'un de ses tableaux
qu'ils ont vu en catalogue et qui a déjà été vendu. Je note juste leur souhait et je les informe quand un nouveau tableau peut y correspondre. Car si même des scènes et des thèmes sont
récurrents, chaque tableau est différent. Avec un nouvel angle, une nouvelle palette de couleurs...", raconte Francis Racowski, directeur de la galerie et admirateur d'Isabelle
Crevier depuis plus de 20 ans.
Peindre de mémoire
Les tableaux de l'artiste franco-canadienne sont composés en "tranches" verticales. "Elle fragmente ses compositions, explique Francis Racowski. C'est sa façon de capter la lumière. C'est aussi la marque de son style." cette décomposition verticale permet aussi de marquer le mouvement
des touaregs à dos de chameau dans le désert ou le rideau de pluie sur ses tableaux de mousson asiatique. Son style dévoile une maîtrise technique remarquable et un travail de mémoire étonnant.
Comme le souligne le maître des lieux, "elle peint de mémoire et uniquement ce qu'elle a vu de ses yeux". C'est sa règle
d'or.
L'œuvre d'Isabelle Crevier a fait l'objet d'une grande rétrospective, début 2003, avec pour cadre... le toit de la Grande Arche ! Plus de 150
toiles peintes entre 1990 et 2000. Un véritable arc-en-ciel de couleurs dans la grisaille parisienne. Francis Racowski envisage de faire connaître ses tableaux ailleurs qu'en France. Alors
courrez voir la reine au couteau avant qu'elle ne poursuive son périple vers d'autres terres.
*ndlr : depuis la première parution de cet article, la galerie Arsinoé a effectivement déménagé. Sans s'expatrier bien loin, elle se trouve désormais au Palais de la Porte Maillot, toujours sous la conduite de Francis Racowski.
Pour des raisons de droits d'auteur, je ne peux malheureusement pas illustrer cet article avec les œuvres de l'artiste. Je vous invite donc à visiter son site, qui expose quelques uns de ses tableaux récents. De toute beauté !
Noura Bouchaïr