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15 décembre 2011 4 15 /12 /décembre /2011 09:20

Santé publique 

 

A Jijel, le seul hôpital de la ville égrene un chapelet de victimes, sans être inquiété.

 

C'est l'histoire d'un hôpital surnommé "l'Abattoir". Un hôpital où on donne du glucose aux diabétiques. Où les infirmières vous volent vos médicaments. Où les cafards sont les bienvenus. Un hôpital où, même aux Urgences, rien ne presse...

Cet hôpital, c'est l'hôpital Seddik Ben Yahia à Jijel. Actuellement et depuis toujours, les dysfonctionnements s'y multiplient, lui valant ce surnom sinistre mais bien mérité. Aucun contrôle de la hiérarchie : chaque service fonctionne en électron libre et chaque salarié de l'hôpital impose sa loi à ceux qui dépendent de lui, au détriment de la notion de "service public" et du simple devoir moral envers les malades. Le patient se retrouve livré à lui-même ; s'il n'est pas entouré, si personne ne se plaint pour lui et s'il ne connaît personne dans l'hôpital, il se retrouvera sans aucun doute sur la liste des victimes oubliées de l'Abattoir. 

Entrée aux Urgences. Ne vous fiez pas au nom de ce service. Ici, pour être vu par un docteur il faut beaucoup de patience. Ou bien une connaissance bien placée. Ou encore un coup de nerf. En effet, en tambourinant à la porte close des docteurs, vous parviendrez peut-être à les faire sortir de leur pause à durée indeterminée.

Une fois le diagnostic établi, préparez-vous à encore patienter : il vous faudra partir en ville acheter les médicaments prescrits puis revenir et attendre qu'une infirmière daigne vous les administrer. Bien sûr, là encore, si vous connaissez quelqu'un... inutile d'aller en pharmacie, on vous donnera le médicament directement. 

Direction la Maternité. Les femmes sont accouchées à la chaîne, les lits manquent et on renvoit les jeunes mamans chez elles à peine le travail fini. Une abérration ! En France, par exemple, les femmes sont maintenues 2 heures en observation en salle d'accouchement au cas où une hémorragie se déclarerait. En laissant les mères sortir aussitôt, ce service qui donne la vie prend le risque de donner aussi la mort. Et les chiffres récents de mortalité en Maternité partout en Algérie ne vont malheureusement pas nous démentir.

Pour celles qui seront restées sur place, tout n'est pas rose non plus. L'hygiène des lieux est déplorable. Les toilettes ne sont nettoyées que quand la rumeur court que passera le wali. Autrement, il faut s'accomoder de l'odeur. La nuit, les murs deviennent noirs, grouillants de "guerrelous" (cafards). Et les nourrissons, si fragiles, doivent subir cet environnement dégradé dès leurs premiers instants de vie. 

Mais le pire se situe en Médecine Interne. Quand le chef de service fait une prescription, rien ne garantit que le patient aura bien son médicament. Une infirmière peut venir vous installer une perfusion avec un sachet de sérum, attendre que vous dormiez... et revenir retirer le sérum ! Et il s'agit là d'une situation vécue que personne ne pourra démentir. D'autres ne viendront jamais vous donner le sérum et vous diront même qu'on ne vous en a pas prescrit ou bien que l'hôpital est à cours de médicament.

Si vous osez réclamer auprès du chef de service, il sera le premier étonné. Ne vérifiant lui-même aucunement le travail de ses équipes, la débandade et la corruption passent inaperçues à ses yeux et il peut faire l'innocent en toute sincérité. Il n'en reste pas moins le responsable du service et devrait donc assumer les erreurs de ses subalternes. 

Le manque d'équipement et de spécialistes cause aussi des problèmes non négligeables. Pour effectuer une radio ou un scanner, il faut se rendre en ville. Et par ses propres moyens car, dixit une infirmière "On n'a que 2 ambulances et elles sont débordées". Il faut donc faire voyager le malade dans une simple voiture, assis et non allongé, sans surveillance médicale et dans l'inconfort notoire des routes jijeliennes. Bien sûr, en cas de malaise lors du trajet, l'hôpital décline toute responsabilité.

Enfin, le patient qui aura vu un ou plusieurs spécialistes en ville se trouve désemparé à son retour à l'hôpital : comment savoir si les différentes prescriptions qu'on lui a donné sont compatibles ? En effet, le dossier du patient ne voyage pas avec lui et sur place, aucun docteur ne s'assure de la compatibilité des traitements. C'est la porte ouverte aux intoxications médicamenteuses et aux empoisonnements. Ainsi un patient venu soigner une maladie en déclare une autre ; le séjour dans le service se prolonge avec le risque de devoir subir d'autres erreurs médicales. Les plus chanceux rentreront chez eux, affaiblis et gardant un mauvais souvenir de cet hôpital. Quant aux autres, ils maudissent les médecins du fond de leur tombe. 

Les témoignages sont nombreux, les anecdotes innombrables, les dysfonctionnements bien réels. Une fois alertée d'un problème, la hiérarchie réagira en jouant l'offusquée. Mais ce traitement ponctuel ne règle pas la situation sur le long terme. Il faut un vrai suivi des patients par les docteurs, un contrôle du travail des infirmères, plus de moyens et d'équipements... Tant que l'administration de Seddik Ben Yahia et que les pouvoirs publics ne prendront pas des mesures adaptées, l'Abattoir continuera de perpétuer ses crimes silencieux.

 

 

ps: parmi les témoignages de l'incurie de cet hôpital, voici celui de la fille d'une patiente morte à l'Abattoir. L'article a été publié dans le grand quotidien national francophone El Watan. La situation n'a pour autant pas changé.

 

Noura Bouchaïr

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